CHAPITRE X

Il était à peine nuit à Mexico lorsque la fusée stratosphérique de Jimmy Tohar atterrit devant le palais qui abritait le Grand Conseil de la Confédération interplanétaire.

Jimmy, laissant à Zerna la garde de leur appareil volant, se précipita vers la grande entrée.

Il en ressortit une demi-heure plus tard. Il était blême et sur son visage se peignait une fureur concentrée.

— Alors ? lui demanda Zerna.

— Des fous ! Des insensés ! Je leur apporte les révélations les plus sensationnelles du siècle… Je leur signale le danger le plus terrible que notre espèce ait jamais couru… Et ils refusent de bouger… Il m’a presque fallu me battre pour parvenir jusqu’au président, un honnête homme certes, mais qui tremblait d’épouvante… Je lui ai donné les renseignements les plus précis… Je lui ai mis sous les yeux un document irréfutable… Ce papier froissé que j’ai retrouvé dans une poche de mon uniforme de Zoam : l’aveu écrit de Véga qu’il était responsable de la tuerie de Brambly – cet aveu que dans sa victoire sur moi il avait oublié de me reprendre ! Tout cela en vain. Véga leur fait peur… Ils sont prêts à tout subir plutôt que de prendre un risque. Le président ne faisait que me répéter : « Vous avez sans doute raison… Mais Véga est cent fois plus fort que nous… » Ah ! l’insensé…

— Alors, qu’allons-nous faire, Jimmy ?

— Aller voir ailleurs… À un endroit où j’espère que je découvrirai des gens un peu moins ramollis… Car si nous ne trouvons pas d’appuis – et des appuis massifs – nous sommes perdus… Notre civilisation est perdue… Car si même nous parvenions à neutraliser les « ramlecks », ce ne serait pas suffisant. N’oublions pas que Véga possède la maîtrise absolue de l’espace…

Sur quoi Jimmy remit sa fusée en marche.

 

*

* *

 

Une demi-heure plus tard son appareil, encadré de deux petits astronefs de la police spéciale avec lesquels il avait pris soin de se mettre en contact – car on ne débarquait pas là sans quelques vérifications – se posait, près de Pittsburg, devant les immenses bâtiments administratifs du Consortium Interplanétaire des Productions Atomiques.

Le président du conseil d’administration, Ger Elstrom, avait déjà été prévenu de son arrivée et avait accepté de le recevoir, bien que Jimmy se fût borné à lui faire tenir un message disant simplement qu’il venait lui apporter une « communication importante relative aux événements en cours ».

On l’introduisit, après avoir vérifié son identité, dans un vaste bureau où il attendit quelques instants. Le président Ger Elstrom – un des savants atomiques les plus réputés de la Confédération – vint l’y rejoindre. C’était un homme d’une cinquantaine d’années. Il semblait à la fois affable et soucieux.

— Qu’avez-vous à nous dire ? demanda-t-il.

— Beaucoup de choses, Monsieur le Président.

Jimmy tenait à la main l’aveu écrit de Véga.

— Je vous écoute.

— Tout d’abord, je voudrais vous demander si vous êtes en mesure de vérifier l’authenticité du document que je vais vous remettre, et qui est de la main même du gouverneur de la « Trans ».

— La chose peut être faite en cinq minutes. Donnez.

Le président lut le papier et la plus grande stupeur se peignit sur son visage.

— Ça m’a tout l’air, fit-il, d’être de l’écriture de Véga, que je connais bien. Mais comment pouvez-vous être en possession de…

— D’un pareil aveu ? Je le lui ai arraché de force. Je vous expliquerai pourquoi tout à l’heure. Faites vérifier l’écriture…

Ger Elstrom tourna le bouton d’un visophone.

— Venez tout de suite dans mon bureau, dit-il.

Un homme jeune, au visage intelligent, apparut quelques instants plus tard.

— Carl, ayez l’amabilité de vérifier vous-même d’extrême urgence, lui dit le président, si ce texte est bien de la main de celui qui l’a signé. Ultra confidentiel.

— Bien monsieur.

Le président se tourna ensuite vers son visiteur.

— Maintenant je vous écoute…

— Vous n’attendez pas la vérification ?

— Ce serait perdre du temps, et je crois que nous n’avons pas de temps à perdre…

— C’est aussi mon avis… Alors, voici…

Jimmy, en termes clairs, rapides et précis – bien qu’il fût horriblement fatigué et que son épaule blessée le tourmentât – fit le récit de ce qu’il avait vu et appris au cours de cette longue et tumultueuse journée, depuis l’instant où il avait découvert les empreintes du « ramleck » jusqu’au moment où il avait quitté le président du Grand Conseil de la Confédération.

Il parlait à peine depuis cinq minutes lorsque le jeune homme rapporta le document en prononçant ce simple mot : « Authentique ». Le président se contenta de faire un signe et dit à son visiteur : « Continuez, je vous prie… »

Lorsque Jimmy eut terminé, Ger Elstrom se leva et lui serra silencieusement la main.

— Je vous remercie d’être venu… Nous sommes nous-mêmes en état de demi-alerte depuis ce matin. Nous avons connu très vite cette histoire du « ramleck » qui détruisit la base de Brambly et nous l’avons prise d’autant plus au sérieux que nous avons envoyé sur place un observateur qui nous a confirmé les faits. Dès le début, nous avons pensé que Véga y était sans doute pour quelque chose. Nous avons su aussi presque immédiatement, il y a deux ou trois heures, qu’une bagarre s’était déroulée autour du palais du gouverneur de la « Trans », mais sans aucune précision sur ses causes et ses dessous. Le communiqué lancé ensuite par Véga nous a beaucoup alarmés. À part cela, nous étions dans la nuit. C’est en vain que nous avons nous-même fait des démarches auprès du Grand Conseil de la Confédération. Il y a deux heures, j’étais encore à Mexico. Mais ces messieurs sont prêts à tous les abandons… Nous, du moins, qui avons si souvent fait preuve de la plus grande patience, nous sommes cette fois-ci résolus à résister. Comment voyez-vous la suite des événements ?

— Il est vraisemblable, dit Jimmy, que Véga va maintenant vouloir précipiter les choses. Vous serez les premiers visés. Il faut s’attendre, dès demain matin, à voir une masse de « ramlecks » débarquer autour de vos installations et se mettre en branle si vous ne capitulez pas…

— Et les « ramlecks » sont indestructibles, fit posément Elstrom.

— Oui, indestructibles…

— Véga possède la maîtrise de l’espace. Mais nous possédons celle des productions atomiques. Nous avons toujours eu la prudence de ne livrer à la « Trans » que le minimum d’armes atomiques nécessaire pour ses explorations. La « Trans » nous vend de l’uranium et autres minéraux contenant des corps fissiles, mais n’a jamais eu d’installations pour les transformer en engins de guerre. Nous connaissons son stock. Il est faible. Nous pouvons interdire l’approche de Pittsburg à ses astronefs, au moyen d’un barrage terrifiant de projectiles téléguidés…

— Pas longtemps, hélas, je le crains. Vous arrêterez les astronefs, mais pas les « ramlecks »… Car Véga n’ira pas jeter ses vaisseaux sur un barrage infranchissable… Il effectuera son débarquement en un point assez éloigné de Pittsburg, par surprise… Et les « ramlecks » feront, si je puis dire, le chemin à pied… Bien que ces monstres soient naturellement lents, un « ramleck » radioguidé peut atteindre vingt-cinq à trente kilomètres à l’heure. Et rien ne les arrêtera, eux… Au lieu de les avoir sur le dos dans la matinée, ce sera pour l’après-midi, ou pour plus tard… Mais ils arriveront… Ce qui ne veut pas dire que l’opération de retardement ne sera pas très utile…

— Je vois bien que votre suprême espoir, fit Elstrom, – et c’est en effet le seul – vous le mettez dans la réussite du travail de Bret Thompson sur les appareils neutralisateurs…

— Très exactement.

Elstrom réfléchit un instant.

— Je connais Thompson. C’est un grand savant. Le mieux serait qu’il vienne immédiatement ici. Nous avons des laboratoires beaucoup mieux outillés que ceux dont il peut disposer à Londres. Et des techniciens qui l’aideront. La chose est-elle possible ?

— Non seulement elle est possible, mais j’allais vous la proposer… Si j’avais su, je lui aurais dit de venir directement ici.

Elstrom fit tourner le bouton d’un visophone.

— Appelez Bret Thompson à Londres. Extrême urgence…

Il se mit à pianoter sur son bureau, avec un peu d’énervement. L’écran s’éclaira et Bret apparut. Il avait l’air soucieux et impatient.

— Heureux de vous voir, Elstrom, dit-il. Mais je ne vous cache pas que vous me dérangez beaucoup…

— Quelqu’un va vous parler…

Il s’effaça pour laisser la place à Jimmy Tohar devant l’écran.

— Oh ! Jimmy… Alors, je comprends…

— Comment ça marche ? demanda le jeune homme.

— Ça irait assez bien, mais c’est terriblement lent. Je n’ai littéralement personne pour m’aider, et il me manque un tas de choses indispensables…

— Alors, venez nous rejoindre à Pittsburg. Venez tous. Sans perdre une seconde…

— Bon, nous venons…

— Voilà un point de réglé, dit Elstrom. Passons au suivant.

Il tourna le bouton d’un autre visophone.

— Carl, transmettez immédiatement à tous nos chefs de bases, d’usines et d’entrepôts, dans toute la galaxie, l’ordre que voici : « Vous courez le risque imminent d’être attaqués par des astronefs de la « Transplanetarian » dont les occupants voudront s’assurer le contrôle des installations dont vous avez la charge. Au cas où vous recevriez un ultimatum, mettez en vigueur la consigne A et résistez par tous les moyens. » Faites vite, Carl… Je vous appellerai dans un instant pour vous mettre au courant… Dites aussi à Bleb Norris de se tenir prêt à diffuser à tous les postes de radio et de télévision dont nous avons le contrôle une proclamation à tous les peuples de la Confédération…

— Parfait, dit Jimmy… Il faut que Véga sente très vite que la résistance s’organise à une grande échelle… Mais à mon sens, il y a un point qui est encore plus important…

— Tout à fait d’accord… Je pense comme vous qu’il y a en effet quelque chose de plus important que la défense de Pittsburg et de nos bases, de plus important que les remous et les résistances que nous pourrons créer partout où il y a des hommes prêts à s’opposer à la tyrannie et à la destruction… Car j’ai bien compris qu’il fallait avant tout empêcher Véga de s’emparer de la substance Arka. C’est donc sur le mont Coarach même que nous allons intervenir au plus vite. Je vais y envoyer dans un instant notre groupe mobile d’élite, avec nos meilleurs techniciens…

— Je les accompagnerai, dit Jimmy… Si vous le voulez bien…

Jimmy prononça ces mots avec effort, puis il eut une défaillance. Il glissa, à demi évanoui, dans son fauteuil. Elstrom se précipita vers lui et le ranima.

— Ce n’est rien, dit le jeune astronaute. Je suis… horriblement fatigué… Et ma blessure me fait mal… Mais ce n’est rien… Une heure de repos me suffira…

— Venez vite vous allonger sur un divan… J’ai abusé de vos forces. Vous êtes d’un courage admirable… Venez dans une pièce voisine… Je vais vous aider…

Le jeune homme se laissa tomber sur un divan, tandis qu’Elstrom courait téléphoner. Quand il revint avec son médecin personnel, Jimmy dormait déjà. Mais il se réveilla en sursaut…

— Ma femme… Zerna…

— Votre femme ? Où est-elle ?

— Elle m’attend dehors, dans notre fusée…

— Que ne l’avez-vous dit plus tôt ! On va vous l’amener dans un instant. Elle doit avoir besoin de repos elle aussi.

Le chef du Consortium atomique donna des ordres, puis retourna dans son bureau. Il avait les traits tendus, la mâchoire serrée. Il murmura : « Ce Véga est un insensé ! Quel dommage que mon aïeul Jerry Elstrom n’ait pas pris, il y a un siècle, le contrôle de la « Trans », alors que la chose était encore possible ! » Il tourna le bouton de son visophone :

— Carl, venez… Et amenez tout l’état-major.

 

*

* *

 

Les immenses installations du « Consortium », qui s’étalaient sur des kilomètres, non loin de Pittsburg, et où était concentrée depuis cent cinquante ans la quasi totalité de la production atomique sur le globe terrestre, présentaient, le lendemain matin, un curieux aspect. Une grande animation y régnait. Tout ceux qui s’y trouvaient étaient revêtus de lourdes combinaisons anti-atomiques et de masques. Dans tous les coins, on voyait des équipes manœuvrer d’énormes appareils de désinfection. On vivait dans une sorte de poussière ténue et terriblement dangereuse.

Pourtant ni les installations, ni Pittsburg – dont les habitants vivaient depuis plusieurs heures entassés dans les abris souterrains – n’avaient subi de bombardement atomique… Aucun astronef n’avait pu survoler la ville ou les usines. Les batteries de fusées téléguidées maintenaient un cercle infernal autour de ce centre vital. Mais le vent poussait sans arrêt des nuages radioactifs contre lesquels ceux qui les avaient engendrés devaient eux-mêmes se protéger.

L’ultimatum de Véga était parvenu à Elstrom à cinq heures du matin. Il était bref : « Pour des raisons de sécurité générale, la « Transplanetarian » exige le contrôle absolu de toutes les installations de votre Consortium. Nous vous donnons deux heures pour réfléchir. En cas de réponse négative, nous passerons aux actes. Deux cents « ramlecks » seront débarqués aux abords de Pittsburg. Et vous devez déjà savoir ce que cela signifie ».

Elstrom attendit que les deux heures fussent écoulées pour répondre sèchement qu’il ne voulait pas se soumettre. Il savait qu’à Mexico le Grand Conseil de la Confédération interplanétaire avait immédiatement capitulé, et que tous les moyens officiels de diffusion étaient déjà aux mains de Véga.

À sept heures cinq, les premiers astronefs apparurent. Il était visible qu’ils voulaient débarquer les « ramlecks » le plus près possible de Pittsburg. Plusieurs d’entre eux furent abattus, les autres se replièrent devant le fantastique barrage.

La situation resta confuse pendant près d’une heure. Les astronefs tournaient autour de la ville, mais très loin d’elle, cherchant sans doute une faille dans le rideau mortel, mais sans la trouver. Finalement ils se posèrent en trois points différents, à l’est, au nord-est et au sud de leur objectif, mais à près de deux cents kilomètres de celui-ci.

Les choses se passaient donc comme Jimmy et Elstrom l’avaient prévu. La résistance opposée à Véga leur donnerait sept à huit heures de répit. Mais est-ce que ce serait suffisant ?

Dans un grand laboratoire souterrain, Bret Thompson, arrivé dans la nuit, s’affairait, entouré de quelques-uns des meilleurs techniciens du « Consortium ». Eril Serbrock, le neveu de Ger Serbrock, était auprès de lui. Ce n’était pas trente appareils neutralisateurs, mais quarante-cinq, qu’il avait ramenés d’Astro-Cité, et qui maintenant étaient à Pittsburg.

Malheureusement il était apparu très vite à Bret Thompson que ces appareils étaient en beaucoup plus mauvais état que celui qu’il avait déjà réparé. Huit d’entre eux semblaient complètement inutilisables. Avant de quitter Londres pour Pittsburg, Bret n’en avait remis que deux en état. Et depuis son arrivée au « Consortium », malgré les ressources du laboratoire où il était et les compétences des savants mis à sa disposition, il n’était parvenu qu’à en réparer trois autres. La matinée avançait. Les « ramlecks » n’étaient plus qu’à cent cinquante kilomètres de Pittsburg.

Elstrom avait pris Eril Serbrock à part.

— Savez-vous, lui demanda-t-il, quel est exactement le rayon d’action de ces appareils ?

Eril, un grand et beau garçon d’une trentaine d’années, aux cheveux noirs – mais ils étaient teints – réfléchit un instant.

— Pour autant que nous le sachions, dit-il, avec un seul de ces appareils, on peut agir sur une dizaine de « ramlecks », sur un front de cinq à six cents mètres, et on peut les téléguider d’une distance qui est de l’ordre de dix kilomètres, ce qui permet aux guides d’échapper aux bombardements – d’ailleurs vains – auxquels on pourrait soumettre ces monstres…

— En somme, si tous ces appareils étaient réparés à temps, nous pourrions neutraliser les deux cents « ramlecks » qui vont nous attaquer…

— Je le crois… Mais serons-nous prêts ?

— J’ai peur que non…

Les minutes passaient, de plus en plus angoissantes. D’autant plus que les nouvelles qui parvenaient du mont Coarach n’étaient pas très bonnes…

 

*

* *

 

Au mont Coarach, les difficultés avaient commencé dès l’aube. Les « ramlecks » étaient déjà là quand arriva le groupe mobile expédié par Elstrom, et commandé par un jeune savant, Berg Ramor, un Martien plein de qualités. Une vingtaine de monstres tournaient en rond autour de la montagne, formant une barrière infranchissable. Il ne fallait pas compter mettre en action les excavatrices tant que cette barrière n’aurait pas été rompue.

Berg Ramor ne disposait en effet que de l’unique appareil dont s’était servi la veille Bret Thompson, et c’était évidemment très insuffisant.

Il installa sa base près de Castle Oak, et attendit qu’on lui envoyât d’autres appareils neutralisateurs. Il était là depuis une demi-heure quand arriva de Londres Ger Serbrock, le conseiller suprême des Drahons, avec un détachement de ceux-ci, en uniformes vert pâle. Le père d’Aldola, que Ramor attendait, semblait exténué. Mais il avait tenu à venir en personne sur les lieux. Il constata lui aussi que toute action était impossible pour le moment.

Un quart d’heure s’écoula, et ils virent apparaître les astronefs de Véga, qui larguèrent presque au sommet de la montagne un important matériel. Aussitôt Ramor fit ouvrir le feu. Les astronefs ripostèrent. Castle Oak disparut dans des tourbillons de flammes et de fumées. Et pendant deux minutes, il y eut un double enfer, au sommet de la montagne, et autour de l’antique château de Jimmy Tohar.

Jimmy lui-même arriva quelques instants plus tard. Il avait quitté Pittsburg malgré l’avis du médecin. Mais une farouche résolution l’animait. Kreg Karanson l’accompagnait, et aussi Zerna, qui n’avait pas voulu le lâcher malgré le danger terrible que comportait une telle expédition. Ils avaient eu la prudence, tous les trois, de revêtir leurs combinaisons et leurs masques anti-atomiques.

Le jeune homme sentit des larmes lui monter aux yeux quand il vit les ruines de la demeure qui lui était si chère. Mais sa consternation fut plus grande encore quand il constata qu’il y avait beaucoup de morts, tant dans le groupe mobile du « Consortium » que parmi les Drahons.

Ger Serbrock et Berg Ramor n’avaient échappé à la destruction que par miracle.

Jimmy apportait deux autres appareils neutralisateur. C’était encore très insuffisant, car les astronefs de Véga avaient débarqué de nouveaux « ramlecks » autour de la montagne. Et si le matériel qu’ils avaient largué par parachute était maintenant anéanti, les « ramlecks », eux, n’avaient pas souffert.

Il fallait agir vite. Une patrouille de fusées stratosphériques rapportait la nouvelle que l’adversaire était en train d’installer des bases importantes non loin des ruines de Brambly, et que ses excavatrices étaient déjà en action pour creuser des abris.

— Ils nous faut les imiter, dit Jimmy. Nous avons beau avoir la supériorité atomique sur eux, ils peuvent nous causer de nouveaux et irréparables dégâts si nous ne prenons pas sans délai des précautions.

Ramor donna immédiatement des ordres et exprima son regret d’avoir perdu du temps. Il n’avait pas pensé que les choses prendraient aussi vite une aussi mauvaise tournure. Jimmy eut l’impression qu’il n’était pas très au courant de l’importance de ce qui était en cause. Dans la hâte du départ, on avait omis de lui fournir des précisions utiles. Le jeune astronaute les lui donna, et le vit pâlir.

— S’il en est ainsi, dit Ramor, – qui ne manquait point de courage – il faudrait peut-être tenter de franchir dès maintenant la barrière des « ramlecks » avec les trois appareils neutralisateurs dont nous disposons, et d’amener à pied d’œuvre des excavatrices, pour tenter d’atteindre la substance « Arka ».

— C’est ce que j’allais vous proposer, dit Jimmy.

— Moi aussi, dit Ger Serbrock. Car nous sommes désormais engagés dans une course de vitesse. Et si nos adversaires parviennent à prendre pied avant nous à l’intérieur du cercle que forment les « ramlecks », et à s’y mettre à l’abri de nos obus atomiques, nos chances deviendront bien minces…

Un groupe de soixante-dix volontaires, dont vingt-cinq Drahons, fut aussitôt formé. Deux puissantes excavatrices pouvant rouler en tous terrains furent mises en mouvement. Jimmy, le vieux Ger Serbrock, et Sim Sinny, qui était là lui aussi, se mirent en tête de ce détachement. Zerna, qui faisait preuve d’une vaillance rare chez une femme, voulut encore accompagner son mari. Ramor devait rester à la base, avec Kreg Karanson, pour diriger, le cas échéant, les tirs destinés à protéger la colonne.

Jimmy avait un avantage. Il connaissait admirablement les lieux. Il emmena ses troupes vers une petite gorge étroite et boisée où elles seraient moins facilement repérées. Le soleil était déjà haut, la journée splendide. De nouveau une grande paix régnait sur le paysage. Un coq de bruyère se leva devant eux. Jimmy pensa avec une amère ironie que Zerna n’avait pas encore goûté ce savoureux gibier, et que leur lune de miel était bien étrange. Mais ils ne s’étaient jamais sentis aussi près l’un de l’autre…

Ils avancèrent lentement pendant près d’une demi-heure, puis débouchèrent en terrain découvert, au pied du mont Coarach.

Alors ils virent les « ramlecks », à sept ou huit cents mètres, devant eux. Zerna se serra instinctivement contre son mari.

Ils n’avaient emporté que deux appareils neutralisateurs. Ils avaient laissé le troisième à Kreg Karanson, comme une frêle protection contre une possible incursion des monstres du côté de leur base.

Jimmy et Sim se séparèrent. Le vieux Serbrock accompagna Sim Sinny. Zerna resta avec son époux. Ils s’éloignèrent les uns des autres de trois ou quatre cents mètres, le reste de la colonne continuant à avancer dans le même axe.

Ils voulaient « neutraliser » un couloir aussi large que possible.

Jimmy avait l’impression hallucinante qu’il revivait les moments effrayants vécus sept ans plus tôt sur la planète V 4 d’Aldebaran. Il avait peine à croire que l’appareil qu’il tenait entre les mains allait leur permettre de passer.

— Zerna, dit-il, tu ferais mieux de retourner en arrière.

— Pour rien au monde je ne te lâcherai, mon amour…

À travers son masque protecteur, elle était pourtant horriblement pâle.

Bientôt ils furent à deux cents mètres des monstres. Ils allaient entrer dans la zone mortelle. Mais Jimmy manœuvra des manettes. Et ils virent les « ramlecks » les plus proches s’écarter, s’éloigner.

— Allons-y ! cria Sim Sinny.

Son appel roula dans la vallée, éveillant des échos. Ils s’élancèrent.

C’est alors que survint un nouveau péril. Des astronefs de la « Trans » venaient de réapparaître dans le ciel. Les batteries de Ramor s’étaient instantanément déchaînées. De nouveau le ciel fut rempli de fumées, de tourbillons et de flammes. Sur le sol même, à leur droite et à leur gauche, les petits obus atomiques explosaient, pour protéger leur « couloir ». Ils voyaient des « ramlecks » disparaître dans une brume flamboyante, réapparaître indemnes…

Un astronef s’abattit, et vint tomber juste sur une de leurs excavatrices, l’écrasant, ainsi que les six hommes qui s’y trouvaient.

Ils avaient maintenant franchi la ligne des monstres. Mais ils se mouvaient dans un enfer. Parfois un projectile ennemi venait tomber dans leur « couloir », assez loin d’eux. Les barrages déchaînés par Ramor étaient malgré tout efficaces.

Ils arrivèrent tous, après de longs efforts, près d’une haute paroi rocheuse où ils firent halte. Il y avait parfois des accalmies de quelques instants. Puis de nouveaux astronefs apparaissaient dans le ciel. Par bonheur les gens de Véga devaient commencer à manquer de munitions atomiques. Ils tiraient maintenant avec des obus explosifs – comme dans les guerres des temps anciens. Mais même ce mode de destruction était terriblement dangereux.

— Il faut absolument nous mettre à l’abri, s’écria Jimmy, faute de quoi ils finiront par nous démolir. Amenez ici l’excavatrice… Vite, vite… Je crois que nous sommes encore un peu bas pour entreprendre le forage. Mais tant pis !

L’énorme machine attaqua la paroi rocheuse. Une accalmie prolongée permit aux techniciens de travailler sans interruption. L’excavatrice, mue par l’énergie atomique, travaillait rapidement. Elle s’était déjà enfoncée de sept ou huit mètres dans la paroi rocheuse quand une nouvelle attaque se produisit. Elle fut brève, et ne causa pas de nouveaux dommages. La journée se poursuivit ainsi, coupée d’attaques et de répits mis à profit pour poursuivre le travail.

— Vite ! Vite ! répétait Jimmy. Bientôt nos combinaisons atomiques ne seront plus suffisantes pour nous protéger…

À deux heures de l’après-midi Ramor leur lança un message :

« Les hommes de Véga viennent de tenter à nouveau de prendre pied sur la montagne même, à l’intérieur du cercle des « ramlecks ». J’ai pu les anéantir, eux et leur matériel. Mais ils vont certainement se livrer à de nouvelles tentatives, et probablement en plusieurs points à la fois. Je crains de ne pas pouvoir faire face à toutes les éventualités. J’attends des renforts de Pittsburg ».

Les heures qui suivirent devinrent rapidement angoissantes. L’état-major de la « Trans » avait dû finir par comprendre que l’adversaire ne disposait que de très peu d’appareils neutralisateurs. Et il tentait une nouvelle manœuvre. Il dirigeait la plupart des « ramlecks » vers le point de la paroi rocheuse où Jimmy et ses compagnons n’avaient encore réussi à creuser qu’un abri précaire. La perte d’une excavatrice les avait beaucoup retardés.

Sim Sinny fut le premier à s’apercevoir de ce qui se passait. De l’est surgirent une douzaine de monstres. Bientôt ils furent à moins de deux cents mètres de leur chantier. Sinny manœuvrait désespérément les manettes de son appareil. Les « ramlecks » étaient toujours neutralisés. Mais il ne parvenait plus aussi bien qu’avant à les diriger et à les écarter. De toute évidence, ces « ramlecks » là recevaient aussi, d’une autre source, d’autres impulsions. Et il était clair que l’adversaire tentait maintenant de se servir d’eux comme de béliers, et de les jeter sur leur groupe.

Sim appela Jimmy à la rescousse. À eux deux ils parvinrent tant bien que mal à contenir les monstres. Par bonheur, leur chantier était adossé à la paroi rocheuse, ce qui facilitait leur tâche. Mais c’était une tâche énervante, épuisante.

Et vers six heures de l’après-midi survint un nouvel événement qui les effraya tous. Une cohorte d’astronefs était apparue dans le ciel. Le bombardement infernal reprit. Un obus explosif vint tomber presque aux pieds de Sinny, qui s’abattit au sol.

Sim n’était que légèrement blessé. Mais son appareil avait été détruit.

Ils cherchèrent tous refuge dans l’amorce de tunnel où travaillait l’excavatrice. Jimmy resta devant l’entrée. Une quinzaine de « ramlecks » étaient là, dans la pente, à moins de deux cents mètres, se livrant à des mouvements désordonnés. Parfois l’un d’eux se détachait du groupe et fonçait vers l’endroit où ils se trouvaient. Jimmy, la sueur au front, manœuvrait ses manettes. À trois reprises, des « ramlecks » échappèrent à son contrôle et vinrent se jeter avec un bruit d’explosion contre la paroi rocheuse, à quinze ou vingt mètres de l’endroit où il se tenait avec Zerna.

Et soudain ils entendirent ce que le jeune astronaute n’avait jamais entendu, même sur V 4. Les monstres se mirent à rugir : un rugissement formidable, suraigu, presque au delà du son, qui vous glaçait les entrailles.

Pour la première fois, Zerna eut une défaillance. Elle se serra contre son mari en gémissant :

— Oh ! Jimmy, c’est affreux, nous sommes perdus !

La minute d’après arrivait un message catastrophique de la base :

« Ils ont encore débarqué des « ramlecks », disait Ramor. Et ceux-là, ils les jettent sur nous. Jusqu’à maintenant nous avons pu les contenir. Mais nous risquons d’être débordés et anéantis. Je vous signale d’autre part que les hommes de Véga ont réussi à prendre pied sur le versant opposé au vôtre et malgré de lourdes pertes, à commencer eux aussi des travaux de forage. »